Bien dans sa tête, bien dans son bocal

Publié le par Torlad

Je suis né dans un monde remarquable. Le sable était d’une qualité irréprochable. Les jardins étaient si somptueux qu’on aurait pu se croire rêvasser dans ceux même du palais de Poséidon. Mes semblables vivaient dans la même opulence qu’était la mienne : jamais faim, jamais froid… et jamais soif pardi ! Pourtant je ne me sentais pas à mon aise. Le monde imaginaire me portait à vivre mon existence telles les grandes aventures du chevalier Don Quichotte, bravant chaque jour la banalité, encouragé dans cette quête par le bonheur qu’il ressentait à vivre sa fantaisie. Ces rêves en tête, je ne m’épanouissais guère pas dans les relations avec mes semblables : leurs vies, leurs objectifs, leurs attentes, tout cela je ne le comprenais pas. Ou plutôt si… C’est comme s’ils n’avaient jamais connu la fantaisie de ce monde. Quand je conversais avec eux, je découvrais la plupart du temps un esprit souriant bêtement à sa destinée, se souciant guère de grand-chose hormis de ce qu’il fallait savoir réciter pour jouer dans chaque représentation de la pièce de théâtre à l’affiche de leur vie. J’ai donc sagement cherché à entreprendre mon enquête psychologique. Expérience de terrain, étude universitaire, la seule solution digne de ce nom je l’avais trouvé dans les saintes répliques d’un livre de science fiction : 42. Je ne pouvais malheureusement rester sur ce constat, même si je ressentais un bonheur rigolard à me dire que la clef était tout simplement là. Je ne suis pas resté longtemps dubitatif face au bilan de ces recherches. Il existait un moyen, je l’avais rencontré, éprouvé, découvert par hasard comme souvent dans les expériences scientifiques. « En voulant prendre un raccourci qu’il ne trouva jamais… ».


Je savais désormais sortir du bocal. Vue de l’extérieur, de l’autre côté de la vitre, mon monde se révélait comme éclairé par la lumière dense d’une nouvelle perspective.


Ce monde que je connaissais n’était que la construction de quelque uns, imposée au reste de leurs semblables pour facilité l’opulence de leur vie. Nos existences étaient donc normés, dirigés de main de maître par les esclaves même du système mis en place et ceci dans un seul objectif : « Il faut produire, et reproduire encore ». Ma féerie ne pouvait pas survivre face à cette hypnose générale. Je commençais donc à sortir de plus en plus du bocal.          

Le monde à l’extérieur était fabuleux. Les paysages étaient merveilleux. Tant de couleurs, tant de sentiments vous emportant comme le vent gonflant les voiles d’un vaisseau voguant de part les océans. Hélas, la solitude m’étreignait. Il fallait apprendre à vivre seul. Si vivre dans le bocal, c’était connaitre l’enfermement spirituel du borgne parmi les aveugles, vivre en dehors c’est connaitre la vie d’aventurier comme seuls les mondes imaginaires savaient nous les narrer. Au cours de ces voyages je croisais des êtres féeriques. Certains trouvaient la capacité à entrevoir la nasse tissée autour de nous et à s’en échapper. Les arts, l’aventure, les rencontres avec Gaïa e(s)t l’amour reste le rempart de ces esprits qui, comme militant contre la banalité, tente chaque jour d’entacher le grand voile blanc couvrant nos yeux par les couleurs de la fantaisie. En faisant escale dans les auberges pour se ravitailler ou réparer les voies d’eau, on rencontre rapidement d’autres bretteurs de l’existence, devisant sur le sens de cette vie, ravi de partager le récit de nos aventures. D’autres bougres préfèrent rester à quai, toujours en contact de la féerie par ces rencontres, ceci malgré les attaches de leur cœur à leur bocal.


Au début, après des temps de mer, je revenais de temps en temps auprès de mon bocal, dernier rempart de mon monde avant le grand inconnu. Même si ce bocal était une goutte dans l’océan, sa vue, son cadre restait encore un phare dans mon existence. Il y en avait pourtant tellement des matrices, parfois différentes de premiers aspects mais possédant chacune les mêmes éléments d’aliénation. Aussi, la paroi de mon bocal restait mon repère, même en étant de l’autre côté.


Au fur et à mesure de mes voyages, une question apparue plus clairement au travers du brouillard entourant mon vaisseau : je ne comprenais pas ce qui me poussait à revenir à quai. Peut-être étais-je attiré par le souvenir des temps d’enfance où le bocal était mon seul horizon, tel le vestige de l’endoctrinement de mon désir ? Peut-être que je cherchais ici une compagne pour repartir à deux vers les contrées magiques de l’existence, lassé de ne pas partager l’ivresse et l’exaltation de cette vie choyée par la féerie ? Les faits étaient là : je persistais à faire escale et à vouloir partager mon existence. La vie d’aventurier donne envie d’être partagée, à moins que cela ne soit le besoin d’attachement propre à tout être doué de sensibilité.


Si aujourd’hui je fais société avec certain être qui connaissent la féerie de ce monde, il n’est pas si peuplé de mon point de vue. Ces rencontres sont rares même si elles sont des occasions de faire trembler le monde. Quand nous nous rencontrons, nous autres les samouraïs, le tonnerre de Zeus pourrait résonner que nous ne tremblerons pas. Imaginez, le monde est déjà un bocal pour l’un de nous, si nous sommes plusieurs, il devient aisé d’imaginer le reversement du bocal pour que ses habitants découvrent le reste de l’océan. Ainsi, nous partagerons à plusieurs la magie de prendre la mer de l’existence. C’est une idée qui me fait sourire. C’est là encore un geste de société : vouloir sortir les gens de leur vie rêvée !!  « Mais tu as vu ce sable, ces plantes, mais le monde dehors n’est pas aussi beau !! »


Le combat pour l’épanouissement des masses semblent peine perdu ! Pourtant, cela n’arrête pas les rêveurs! Pour ma part, j’ai pris le parti de ne pas trop me soucier du sort des misérables que je croise dans ces bocaux : j’ai vite compris que le bocal ne persiste que du fait de l’acceptation de leur sort par ses habitants.


Notre épanouissement là dedans ? En dehors du bocal, le bonheur semble ne s’atteindre qu’en acceptant la solitude comme compagne de vie. Malgré les quelques convois que j’ai entrepris au cours de mes voyages, partageant pour un temps mes aventures avec une être de féerie, il semble impossible de faire perdurer ces liens très longtemps. Elles semblent toutes atteintes des mêmes difficultés de communication avec le genre humain, trace ancrée des combats perdus face à la banalité, mal hérité du choc de l’affrontement entre la société et nos désirs de rêveurs opprimés.


Aussi, je continue d’être dubitatif : dois-je continuer d’espérer rencontrer celle qui partagera ma destinée ou dois-je apprendre à ne plus avoir d’appréhension à concevoir ma vie sans un attachement quelconque ?


Je constate seulement qu’aujourd’hui, ce sont Espoir et Solitude qui me cajolent de mes larmes perdues dans la mer de l’existence. Serais-ce sans fin que je resterais un caboteur dans mon existence de marin de la féerie, attendant de hisser les voiles vers Avalon ?

Publié dans Plumes

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S
<br /> C'est beau comme un chat qui saute sur une mine, j'adore. Yakuza yo soy.<br /> <br /> <br />
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